Tous ces mots comme le mot en « n »
Ce mot qui navigue entre l’index et la liberté d’expression. Ce mot qui évoque chez les uns l’esclavage d’un peuple. Ce mot qui heurte, qui blesse à outrance. Qu’en dire lorsque son contexte en est un pour instruire alors que l’intention est de comprendre pour mieux l’éviter ? Qu’en dire lorsqu’on l’exprime avec tact pour faire la lumière sur une histoire malsaine qu’il nous faut à tout prix empêcher de reproduire ?
Et que dire du mot en « b »?
Celui que des millions d’hommes utilisent à tout vent pour comparer la femme à rien de moins qu’une chienne. Ce mot en « b », si dénigrant, devenu si courant dans le langage commun qu’on n’y saisit même plus tout le poids de l’offense qu’il engendre. Pire encore, même les femmes l’utilisent entre elles pour se diminuer entre elles plutôt que s’allier contre cette oppression. Ce mot qui ne traîne rien d’autre que haine en son sillon.
Et que dire du mot en « f »?
Ce mot avec lequel les anglophones ont longtemps dénigré les francophones de ce pays bilingue. Tout aussi infusé de haine, il est passé au vocabulaire comme une mauvaise blague — sans trop considérer le tort qu’il cause à celui ou celle qui le reçoit en plein visage.
Et que dire de ce mot en « t »?
Ce mot qui pour ma mère, sa génération et quelques suivantes était le pire juron que l’on pouvait prononcer — un péché mortel, à l’époque. Pourtant, le Québec demeure la seule nation au monde où les mots « d’église » constituent des blasphèmes, lorsque prononcés hors contexte. En changeant de perspective, ce mot devient parfaitement anodin. « C’est comme dire “banc” ou “table” », de s’exprimer un ami néerlandais interloqué par le ridicule de la chose à ses yeux.
Tout est question de contexte
Un mot à lui seul ne vit pas. Il lui faut un contexte, une intention. Lorsque les mots en « n », en « b », en « f » ou en « t » sont insufflés de haine ou écrier pour heurter, certes que l’on s’insurge. Mais lorsque prononcés pour expliquer ou pour instruire afin que l’histoire qu’ils charrient ne se répète pas, alors verbaliser ces mots s’avère essentiel.
Le retour de l’index?
Doit-on reculer de quelques siècles pour faire renaître l’index ? Ou pis encore, y rattacher une peine ? Imaginez une liste de mots que nul n’a le droit de prononcer sous peine de [insérer la peine de votre choix] ? Une absurde dystopie se dessine… J’imagine poindre le Gilead d’Atwood dans La servante écarlate où toute femme qui ose lire la bible risque de se faire amputer un doigt.
À promouvoir les extrêmes de part et d’autre, on engendre l’exclusivité. Voilà qui va à l’encontre de notre quête d’inclusion et de saine diversité. Évitons l’absurde et tentons plutôt de faire partie de la solution.
Photo par Jackson Simmer sur Unsplash