Cancer et préjugés au travail

On imagine trop souvent le cancer comme une condamnation à mort. Alors que cette maladie se manifeste sous plusieurs formes et que les taux de survie augmentent. De plus, au Canada, 1 personne sur 2 sera atteinte d’un cancer au cours de sa vie. Cela représente une part importante de la population active, qu’il s’agisse de salarié(e)s ou d’entrepreneur(e)s dirigeant des entreprises créatrices d’emplois. Si le cancer ne fait pas de discrimination – ni de race, ni d’âge, ni de sexe – il n’en demeure pas moins qu’en milieu de travail, le sujet reste tabou. On ne sait pas comment aborder et gérer les personnes atteintes du cancer ou d’autres maladies chroniques. Les préjugés à leur égard sont toujours aussi présents.  Il faut donc que les entreprises s’ouvrent et acceptent cette réalité qui frappe dans quasi tous les foyers.

 

Cancer warrior 1 En avril 2019, je reçois un diagnostic de cancer du côlon. Après une chirurgie et 8 rondes de chimiothérapie préventive, le cancer est éliminé… pendant 2 jours. Le scan de vérification après traitement révèle alors une autre tumeur dans le poumon, cette fois. « Heureusement », elle est de souche différente et son dépistage précoce offre un bon pronostic de traitement. Je reçois donc 3 autres cycles de chimio et subis une nouvelle chirurgie (la photo montre la cicatrice de la chirurgie pulmonaire laissée dans mon dos). Plus tard, le scan post-chirurgie démontre l’élimination de la tumeur, mais indique une nouvelle activité cancéreuse dans la zone environnante. Si minuscule soit-elle, l’équipe médicale décide de mettre les bouchées doubles et de l’éradiquer une fois pour toutes. Traduction : 7 autres rondes de chimio et 33 cycles de radiothérapie. Voilà qui résume mon été 2021.

Le parcours d’une combattante

La pandémie mondiale frappe lorsque l’on me débarrasse du cancer du côlon et que l’on m’apprend que j’ai un cancer du poumon. Voilà que mon gagne-pain ET ma vie se trouvent tous les deux menacés par des ennemis microscopiques. Mais la maladie n’est pas ce qui me fait le plus peur. Je fais confiance à la science et à la formidable équipe multidisciplinaire du CHUM. Je vais me débarrasser de cette maladie. Mais qu’adviendra-t-il si mes clients, mes partenaires ou mes créanciers apprennent que j’ai un cancer? Auront-ils encore confiance en mes capacités? Mon entreprise survivra-t-elle? Pourrai-je contracter des prêts? Dans le doute, je décide de taire ma situation au travail et dans mon entourage.

Je continue à travailler sans relâche. Je ne m’arrête que sous anesthésie. Je travaille de mon lit d’hôpital et dans les salles d’attente, pendant chacune des séances de chimio et après chaque séance de radiothérapie. En tout et pour tout, je ne prends qu’une semaine de congé maladie post chirurgie, mais pour mes clients et mes proches, je parle d’une semaine de vacances « déconnectées ». Je suis forte, j’aime mon entreprise! Hors de question de laisser la maladie saper mes efforts.

Je rebondis rapidement avec un soutien limité et dans le secret le plus complet. J’élabore des propositions, négocie – et gagne – des mandats, donne des formations et tiens des conférences, tout en continuant de développer l’offre et les effectifs d’ACCULTURA. Entourée d’une équipe talentueuse et de partenaires exceptionnels (qui ignorent cependant tout de ma situation), j’extirpe mon entreprise du marasme du COVID pour trouver le succès. D’ailleurs, je réalise que cette combativité en anime plusieurs autres. Je l’ai constaté lors de mes innombrables virées à hôpital. Si certaines personnes sont plus atteintes que d’autres, beaucoup continuent à être très actives.

Pourquoi garder le secret?

La stigmatisation du cancer est pire que la maladie. En milieu de travail, les préjugés à l’égard des combattants et combattantes du cancer demeurent. Pour un trop grand nombre d’entreprises, une personne luttant contre le cancer présente un risque. Plusieurs les considèrent comme des ressources improductives exigeant trop de dispositions spéciales (congés de maladie fréquents, horaires et conditions de travail adaptés, etc.). Certaines estiment tout simplement que ces personnes sont incapables de donner tout leur potentiel. Elles choisissent donc souvent d’éviter d’embaucher un employé ou une prestataire de service qui souffre d’un cancer. Le préjugé typique associé aux personnes atteintes d’un cancer – ou à celles et à ceux qui souffrent d’une maladie chronique ou d’un handicap physique ou mental – est qu’elles sont diminuées. Elles sont donc incapables d’être performantes et de produire « d’aussi bons résultats » que les personnes non handicapées. C’est cette stigmatisation qui m’a poussée à garder le secret.

Une révélation

Mais par un beau matin d’été, le paradoxe me frappe! Je travaille alors sur un sujet de formation passionnant : les préjugés inconscients. Ma mission personnelle, et bien sûr celle de mon entreprise, est de promouvoir la diversité, l’équité et l’inclusion de toutes et de tous dans les organisations et dans la société. Pourtant, je réalise soudain que je cache moi-même un élément important de ma vie parce que je crains les répercussions de ces préjugés. C’est alors que je décide de « sortir du placard » pour me battre, non plus seulement contre le cancer, mais aussi pour mes valeurs et ma mission.

Une annonce qui suscite la bienveillance

Je convoque mon équipe et appelle mes proches pour leur expliquer mon parcours des derniers mois. Je leur explique les craintes qui m’ont poussé à garder le secret ainsi que la réalisation de la contradiction de la situation. La réaction est unanime : tous et toutes me témoignent, non pas de la pitié comme je le craignais, mais une profonde admiration pour la résilience et la force dont je fais preuve. Je suis extrêmement touchée et émue par cette réponse. Je me sens entourée et soutenue, et regrette immédiatement de ne pas leur avoir parlé plus tôt. Cette expérience me conforte dans ma décision : il faut démonter les préjugés et montrer à tous et à toutes l’autre visage du cancer, celui de ses combattantes et combattants!

Au-delà des préjugés

Comme on peut le lire plus haut, la première force des combattants et combattantes du cancer est leur résilience sans limites. L’adversité ne leur fait pas peur. Ils ont l’habitude des défis et sont capables de s’adapter aux situations changeantes et difficiles. Leur seconde force est leur concentration et leur rapidité d’action. Parce que leur bataille efface les détails anodins et le superflu, les personnes qui vivent avec un cancer ciblent rapidement les enjeux. L’efficacité est leur meilleur allié, car le temps compte plus que jamais. Autre arme des personnes atteintes du cancer : leur optimisme. Après avoir été bombardé de diagnostics inattendus et indésirables, de traitements sévères, d’effets secondaires désagréables, etc., on apprend rapidement à ouvrir son esprit à toute éventualité et à chercher le bon côté des choses!

Personnellement, cette expérience a transformé mon travail en mission. Mon but n’est pas de faire d’ACCULTURA une entreprise prospère, mais d’aider le Monde à accepter la différence. Cette lutte contre les préjugés – qu’il s’agisse de discrimination fondée sur la capacité physique, le racisme, le sexisme, l’âgisme ou tout autre triste « isme » – est plus qu’un objectif. C’est un plaidoyer pour que l’on prenne conscience de l’immense valeur et de la précieuse perspective que peuvent apporter des groupes « sous-représentés » en quête d’équité.

La question est la suivante : les organisations peuvent-elles dépasser les préjugés? Peuvent-elles voir toute la valeur d’une personne atteinte du cancer ou de toute autre maladie chronique à travers l’épais écran de fumée de la stigmatisation et des fausses idées? En réalité, elles n’auront peut-être pas d’autre choix que de prendre ce « risque » et de mettre de côté leurs préjugés. Au Canada, 1 personne sur 2 sera atteinte d’un cancer au cours de sa vie. Cela représente une part importante de la population active, qu’il s’agisse de salariés ou d’entrepreneures dirigeant des entreprises créatrices d’emplois. Parce que le cancer ne fait pas de discrimination – ni de race, ni d’âge, ni de sexe.

Le combat continue

En tant que femme, j’ai brisé de nombreux plafonds de verre en affaires. J’ai fièrement compté parmi les 8 diplômées de ma cohorte au MBA, récolté un maigre salaire pour occuper simultanément 2 postes de direction dans une entreprise informatique dominée par des hommes et essuyé de fréquents refus de financement pour mes entreprises. Après plus de 30 ans d’expérience en affaires, je me suis retrouvée face au plafond de verre le plus épais de tous : la peur d’être victime de discrimination en raison de la maladie. Si l’on gagne chaque jour des batailles contre le cancer et bien d’autres maladies chroniques, la lutte en matière de diversité continue.

En tant qu’employeur, cliente, collègue ou partenaire, rappelons-nous que la diversité des perspectives est un précieux atout. N’oublions pas que chacun et chacune a la responsabilité de contribuer à bâtir un monde meilleur. Cet article honore toutes les personnes qui combattent le cancer et toute autre maladie physique ou mentale. Il est dédié à celles et ceux qui, chaque jour, franchissent les obstacles et mettent leur formidable résilience et leur volonté au service du bien commun, ainsi qu’à toutes celles et tous ceux qui les soutiennent, de près ou de loin.

 

Un grand merci à Marie-Pier St-Hilaire, PDG d’AFI/EDGENDA et précieuse partenaire d’ACCULTURA, pour son inspiration, son authenticité et son soutien indéfectible, qui m’a aidée à sortir du « placard du cancer ».

Photos: Patrick Beauchemin

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