ACCULTURA est ravie de vous proposer cet article rédigé par Jillian Kowalchuk, qui aborde la question du racisme dans l’enseignement au secondaire. Jillian réside en Alberta (Canada) et y enseigne les sciences humaines. Elle poursuit sa maîtrise en éducation pour se concentrer sur la justice sociale. Elle se porte à la défense d’une éducation sans discrimination. Elle souhaite contribuer à changer les attitudes quant aux minorités visibles et autres peuples discriminés. On peut suivre Jillian sur sa chaîne YouTube, sur Instagram ou sur TikTok sous l’appellation @MissKowalchuk.
Racisme et système éducatif
Par Jillian Kowalchuk
En tant que professeur au secondaire, je suis en première ligne lorsqu’il s’agit de lutter contre les attitudes oppressives. L’éducation, connue pour soustraire des communautés entières au cycle de la pauvreté, a également un sombre passé au Canada. Historiquement, on peut considérer l’éducation comme un véhicule qui alimente des attitudes oppressives et cimente les discours oppressifs et dominants au sein de la structure sociale. Le Canada n’est pas un refuge sûr en matière de racisme. Nos écoles et les personnes qui les fréquentent doivent donc s’engager à changer systématiquement les choses sur les questions de justice sociale et de droits de la personne.
Le passé trouble du Canada en éducation
Historiquement, le racisme et la ségrégation ont constitué une part essentielle du système éducatif au Canada. Prenons l’exemple du système des pensionnats indiens, où l’on a enlevé, souvent de force, les enfants indigènes à leurs familles et leurs communautés riches et dynamiques. On les a dépouillés de leur culture et amenés à croire que leurs familles et leurs ancêtres étaient malfaisants, sauvages et indignes des droits de la personne. Ces écoles ont fonctionné jusqu’à la fin des années 1990 dans tout le pays. Les retombées de l’oppression et des abus subis par les survivants et leurs proches — souvent appelés « traumatismes intergénérationnels » — perdurent aujourd’hui.
Le racisme dans les écoles canadiennes
Le racisme dans les écoles canadiennes émerge dans la façon dont nous enseignons et dans le contenu que nous choisissons de présenter. Souvent implicites, de nombreuses stratégies servent à intégrer des idéologies oppressives et à positionner le groupe dominant comme supérieur — comme la seule référence à des manuels scolaires rédigés selon une perspective blanche, européenne et masculine. Ainsi, nous enseignons aux étudiants que « le blanc a raison » (White is right), en muselant souvent la voix des personnes de couleur, de certains groupes religieux et des femmes, quelle que soit l’intention.
La composition démographique de nos enseignants joue aussi un rôle dans le maintien du discours dominant. Ici en Alberta et dans plusieurs provinces canadiennes, la majorité des enseignants d’une école primaire ou secondaire sont blancs. Qui plus est, les hommes blancs occupent toujours la majorité des postes de direction dans l’enseignement, une profession qui attire surtout les femmes. On peut considérer plusieurs facteurs en matière d’obstacles auxquels se heurtent les femmes et les gens de couleur dans le système éducatif en général. Mais en fin de compte, ces obstacles contribuent à faire avancer les idéaux de la société autour de la suprématie blanche et du patriarcat.
Le facteur blanc et la domination internalisée
Les enfants ont besoin de modèles pour favoriser la résilience et réussir leur éducation. Comme la majorité de nos enseignants sont blancs, de nombreux élèves, en particulier les élèves de couleur, ne sont pas représentés par leurs professeurs. C’est l’un des facteurs qui contribuent à la domination internalisée. Sensoy et DiAngelo (2017) la définissent comme le fait d’intérioriser et d’extérioriser, souvent sans le savoir, des messages culturels constants selon lesquels l’on est, avec notre groupe social, supérieurs. Les écoles jouent un rôle important dans la promotion des idées associées à la domination internalisée, même inconsciemment. De nombreux facteurs y contribuent dont:
- la place centrale qu’occupent les Blancs dans les manuels d’histoire et autres ouvrages, y compris les médias;
- la manière dont on présente l’iconographie religieuse dans les systèmes scolaires catholique et chrétien;
- la perception du quartier où se trouve l’école.
Combattre le racisme à l’école
Actuellement, plusieurs estiment que les écoles n’en font pas assez pour lutter contre le racisme. Comme enseignante, j’en conviens. Plusieurs enseignants craignent les répercussions sociales d’aborder les questions de justice sociale et d’oppression dans leurs classes, par crainte des réactions des élèves, des parents et des collègues. On considère encore les enseignants comme étant politiquement neutres. On nous dit que compte tenu du pouvoir de l’institution éducative, nous devons être prudents lorsque nous exprimons des arguments idéologiques. Cependant, aucun être humain ne peut être complètement neutre, car nous sommes tous très influencés par la socialisation. Or, le racisme et l’oppression ne sont pas une question de politique, mais plutôt, de droits de la personne. En tant que professeur de sciences humaines, mon travail consiste à préparer mes étudiants aux défis d’être un citoyen du monde. C’est pourquoi je suis responsable de les éduquer sur l’injustice, une réalité sociale.
Enseigner la justice sociale peut être une tâche redoutable et exigeante. Le confort des enseignants joue un rôle important dans la considération des questions de justice sociale en classe. De nombreux enseignants ne possèdent pas les compétences nécessaires pour s’engager dans ces conversations chargées d’émotion avec les élèves. Plusieurs élèvent la voix pour définancer la police, mais négligent de considérer qu’au Canada, l’éducation est sous-financée depuis des années. Dans certaines provinces, la situation ne fait qu’empirer. Plus que jamais, les enseignants sont sous pression alors qu’il nous faut trouver un équilibre entre les besoins de l’apprenant du XXIe siècle et les autres exigences de notre travail centrées sur le manque de financement. J’ai travaillé dans des écoles où il n’y avait ni conseiller d’orientation, ni soutien en matière de santé mentale, ni personnel de soutien pédagogique, ni papier à imprimer.
Favoriser le changement
Pour dévier le cours du racisme et de l’oppression au Canada, et finalement l’éradiquer, le système éducatif a besoin de plus de soutien à tous les niveaux. Nous avons fait des progrès importants en matière de culture scolaire. Nous avons créé des espaces sûrs pour que les enfants puissent apprendre et grandir. Mais il reste encore beaucoup à faire. La prise de conscience, c’est bien. Mais maintenant, il faut agir.
Références:
- Ryan, J., Pollock, K., & Antonelli, F. (2009). Teacher Diversity in Canada: Leaky Pipelines, Bottlenecks, and Glass Ceilings. Canadian Journal of Education, 32(3), 591-617.
- La référence au fait que le leadership en matière d’éducation est principalement détenu par des hommes est extraite de ce livre : http://sk.sagepub.com/books/leadership-in-education.
- Cet article traite également de la sous-représentation des femmes dans les postes de direction de l’éducation : https://files.eric.ed.gov/fulltext/EJ913602.pdf